PLAISIR (PRINCIPE DE)

PLAISIR (PRINCIPE DE)
PLAISIR (PRINCIPE DE)

PLAISIR PRINCIPE DE

Que la recherche du plaisir fasse principe, c’est-à-dire qu’elle contienne une proposition renfermant une détermination générale de la volonté, et à laquelle sont subordonnées plusieurs règles pratiques, c’est une évidence dont les implications s’avèrent difficiles à réaliser. L’auteur du principe de plaisir, Épicure, «se comprenait-il lui-même» — pour reprendre l’expression de Kant — quand, après avoir affirmé la nature corporelle du plaisir, il rangeait parmi les plaisirs la satisfaction intellectuelle et la satisfaction morale? Ainsi, les mutations propres du sentiment de plaisir dans le champ de l’anthropogenèse conduisent le psychologue et le psychanalyste à rechercher les mécanismes mis en jeu dans sa production.

Deux difficultés caractéristiques se présentent alors, liées à la nature historique de l’acte générateur de plaisir. D’abord, le plaisir qui devrait résider dans l’acte entier ne privilégie-t-il pas, en fait, un des trois moments qui constituent l’opération: conception au niveau du but, réalisation dans le champ des moyens ou contemplation au registre du résultat? Deuxièmement, le plaisir, qui pourrait se définir négativement par la fuite du déplaisir et la recherche de la détente, s’avère constitutivement lié à l’accroissement de la tension. C’est pourquoi il ne suffit pas de parler de principe de plaisir, mais il faut voir dans le principe de plaisir une règle selon laquelle est gouvernée une force qui improvise, quelles que soient les raisons de cette improvisation. Cependant, si le plaisir est conçu non seulement comme résultat de l’apaisement d’un conflit, mais comme fruit d’une quête, renvoyant à une «faculté de désirer» autonome, la question se pose de savoir dans quelle mesure l’on peut parler, avec Freud, d’un «automatisme» du principe de plaisir.

Concevons, en effet, le principe de réalité comme principe de plaisir amélioré. Tout le problème est alors d’articuler la fonction purement défensive de celui-ci à la découverte, faite aux alentours de 1920, du caractère «compulsionnel» et «démoniaque» de la pulsion: le sujet, loin de chercher le plaisir, se laisse dominer par le besoin de répéter une situation, que celle-ci soit plaisante ou non. La pulsion apparaît comme «représentant psychique» de l’élasticité organique; c’est une exigence inhérente à l’organisme vivant, qui le pousse à rétablir un état de choses antérieur, que le vivant a été contraint d’abandonner sous la pression de forces perturbatrices extérieures. Par là même, la tendance à la constance échappe au contrôle du principe de plaisir; et le principe de réalité, loin de former le «détour» nécessaire utilisé par le plaisir pour triompher finalement, constitue le fondement de ce dernier. Par principe de réalité, on entend alors l’aptitude à supporter avec indifférence le déplaisir lié à une situation déjà existante.

L’opposition entre principe de plaisir et principe de réalité reflète ainsi, aux yeux de Freud, une lutte entre inertie et constance, toute la question étant de savoir comment le second principe en vient, non à constituer une modification du premier, mais à se trouver avec lui dans une relation d’antagonisme. Dès l’Esquisse d’une psychologie scientifique , Freud posait le principe de l’inertie neuronique: les neurones tendent à se vider de la quantité d’excitation, et le plaisir correspond à l’écoulement libre de l’énergie. Freud appelle alors «processus primaire» ce déplacement aisé et total de la signification d’une représentation à une autre; il en montre la caricature dans l’hallucination, qui donne le satut de quasi-réalité à l’objet seulement pensé du désir; et il oppose aux processus primaires les processus secondaires, dans lesquels l’énergie est liée et maintenue à un certain niveau, suivant le principe de constance; c’est donc grâce à ces processus que se constitue le «moi-réalité».

Mais, en 1920, Freud semble inverser les rapports préalablement établis entre inertie et plaisir, d’une part, constance et réalité, de l’autre. Si l’on définit, en effet, avec Fechner le principe de constance comme limite d’une série de cycles répétitifs, le plaisir et le déplaisir pourraient être conçus sur ce modèle comme des fonctions décomposables: tout mouvement rectiligne constitue une superposition d’oscillations rectilignes simples, dotées d’amplitudes, de périodes et d’élongations variables. Il est alors tentant de déduire le principe de plaisir du principe de constance. Cependant, Fechner le notait déjà, l’on ne saurait confondre la tendance et sa réalisation. «La tendance au but ne signifie pas toujours la réalisation du but, celle-ci ne pouvant en général s’opérer que par des approximations.» Autrement dit, on peut croire chercher le plaisir, et désirer la tranquillité, mais force est bien de reconnaître, quand on considère la conduite humaine, que, ou bien le sujet comprend mal son plaisir, ou bien quelque chose en lui est au moins aussi fort que le désir du plaisir.

L’opposition irréductible du désir à toute réalisation déterminée permet sans doute de comprendre comment plaisir et réalité, inertie et constance constituent ces «paires contrastées» qui dominent toute notre vie psychique. Si l’inertie trouble en effet l’ordre antérieur, la constance promeut une unité qui ressemble à la mort. Parallèlement, si tout plaisir suppose un leurre, puisque lié à une proposition imaginaire qui est celle du moi, prendre conscience de la réalité exigerait une abdication du moi. «L’individu est ce qui est à oublier», disait Hegel.

Deux solutions nous sont donc laissées: admettre la nature conflictuelle du sentiment de plaisir et son impuissance à faire principe; ou bien alors partir d’un dualisme principal, en opposant le plaisir à un autre principe, qu’on appelle celui-ci réalité, constance ou nirvâna.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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